We few we happy few we band of brothers (…) shall be my brother (…) That fought with us on Saint Crispin’s day!
« Nous si peu nombreux, mais si heureux, nous bande de frères (…) sera mon frère (…) qui combattit avec nous en ce jour de la saint Crépin ! »
Depuis 1839, et l’ouverture de La Chartreuse de Parme de Stendhal, ces happy few shakespeariens ont traversé la Manche pour faire partie intégrante de l’imaginaire français, cristallisés au plus profond de nous… En ce 25 octobre résonne toute la gloire crépusculaire de la saint Crépin : saint Crispin en anglais, jour de la célèbre victoire de l’armée anglaise sur le prince des Lys à Azincourt le 25 octobre 1415, lavée dans le sang et l’horreur de la bataille de Patay le 18 juin (encore un ! …) 1429 où la même cavalerie française, défaite à Azincourt, écrasa les archers anglais cette fois-ci totalement renversés par la furia francese…
On lira à ce sujet l’excellent livre de Daniel de Montplaisir « Quand le lys battait la rose » montrant bien que cette soi-disant supériorité de l’armée anglaise est une invention républicaine du XIXème née dans l’après Waterloo et de la suprématie britannique du siècle de Victoria. Sous l’Ancien Régime, Jeanne d’Arc ne faisait pas seulement rire Voltaire…
Relire à cet effet « Jeanne la pucelle » hilarant et scandaleux poème grivois du prince des Lumières est un exercice véritablement éclairant… On comprend bien que Jeanne d’Arc est un foireux « machin » moderne, béatifiée au XIXème, canonisée au XXème… pardon my French…
Ça c’est pour le crunch… n’est- ce pas ? Ouverture à l’Anglaise, qui est Ouverture à la Française (Purcell vénérait Lully…). La première mi-temps est sifflée… les équipes sont à égalité… Order !
Quoiqu’il en soit ce jour-là résonne encore dans la psyché mondiale depuis surtout le 18 juin 1940 où le vieux lion Churchill entonna son fameux discours shakespearien, reprenant avec ferveur cet esprit aristocratique du « vivre noblement » : qu’importe de mourir à 25 ans pour la gloire du roi, quand on a fait des fils à sa femme et des bâtards à la terre entière ; la race des seigneurs meurent l’épée à la main et comme on disait sous le Premier Empire, « tout hussard de plus de trente ans est un Jean-Foutre ! »
L’Angleterre comme la France a été faite au fil de l’épée et quand bien même l’on sait depuis l’abomination de la Première Guerre Mondiale, et Wilfried Owen, que non, il n’est pas doux de mourir pour sa patrie :
We shall never surrender. Nous ne nous rendrons jamais. We shall prevail. Nous vaincrons.
Démultipliant l’imprécation orphique d’Owen, encore plus forte, encore plus puissante.
La mort, la gloire, l’honneur, la vie glorieuse n’est pas de revenir chez soi auprès de sa femme et de ses enfants mais de mourir pour défendre sa couronne ayant tué dix, cent, voire mille de ses ennemis, à soi seul. Tel le maréchal Ney à Waterloo, quand tout étant perdu : « Eh Merde ! ».
Blow wind come wrack, at least we die our harness on our back! disait Macbeth…
« Que souffle le vent, que vienne le chaos, au moins nous mourrons à cheval ! »
Voilà cet esprit du 25 octobre, cet esprit de la Saint Crispin, cette chevalerie d’outre-tombe, cet aristocratisme crépusculaire, martial, militaire, joie féroce en la mort, la victoire est au bout, qu’importe l’issue. Je ne sais pas si le gaullisme, l’esprit du 18 juin, (l’esprit du 18 juin 1429, l’esprit de la bataille de Patay…) est un royalisme mais autour du Général, des royalistes gravitaient… et quelques Bretons de l’île de Sein… et avant de créer la Vème République, le Général avait mandé aux Orléans leur avis sur une éventuelle restauration n’est-ce pas… mais chut taisez-vous, pas de vagues… Rassurez-vous, les Orléans-Vichy comme les Bourbons-Sangria sont condamnés par notre histoire à nous hanter comme des spectres, depuis ces funestes journées d’Octobre 1793, du saccage de la nécropole royale de Saint-Denis, où l’on n’a pas seulement enterré la monarchie, mais déterré la monarchie… Les princes de la plus belle couronne du monde, les princes des Lys hanteront toujours notre psyché, rien n’y fera, la France même foncièrement républicaine demeurera Couronne, elle demeurera Royaume mais un royaume spectral, un royaume de princes dépossédés, un royaume shakespearien de roi découronnés, sans nom, ni repos éternel, un théâtre de cruauté où les lys baignés de sang composent une scène bien inquiétante, des rois à la couronne de papier coincés dans les limbes de l’Histoire, marécages de lys orgueilleux aux noirs parfums toujours plus forts, plus capiteux, obsédants, troublants, étouffants notre sommeil.
Le 25 octobre est également le jour de la naissance de Lord Thomas Babington Macaulay, le grand historien anglais du siècle de Victoria. Il peignit avec tant de nuances l’immensité de son Histoire d’Angleterre chef d’oeuvre inachevé : j’aime particulièrement son apologie de la France de Louis XIV, des jésuites et sa peinture de l’éviction du dernier Stuart catholique James II, souvent la réalité dépasse la fiction et sa plume de mémorialiste « à la diable », « à la Saint-Simon » touche des hauteurs de détails et une densité telle que l’on conçoit aisément sa dimension de grand symphonie inachevée, forcément sublime…
Mais ce qu’il y a probablement de plus touchant en ce jour si universel désormais, we few we happy few démultiplié par Churchill en Never was so much owed by so many to so few « jamais dans l’histoire un si grand nombre ne dut autant à un si petit nombre », rappelant l’extraordinaire bravoure de ces gamins de 22 ans de moyenne d’âge brillants pilotes des Spitfires de la Royal Air Force, grands vainqueurs de la Battle of Britain de l’été 1940, ce qu’il y a de plus touchant est probablement en abîme la source même de Shake Speare : Ovide en personne. Dans ses bouleversantes Tristes & Pontiques, Ovide, exilé au bout du monde connu, forcé de faire la guerre à des barbares, lui l’inventeur d’un monde si riche, si fécond, si inoubliable, et si inoublié par la Renaissance et l’ère dite Baroque, lui le Romain mondain, programmé pour écrire et vivre sa dolce vita dans la douceur infinie des soirs de Rome, lui l’esprit vif et doux, lui que Shake Speare aimait plus qu’aucun autre, lui-même résonne à travers les siècles, l’Histoire, le bruit, la fureur, l’abyssale folie des hommes.
« et vous compagnons d’écriture joyeuse bande de poètes priez pour moi en buvant du vin pur que l’un de vous lève sa coupe au nom d’Ovide ses larmes tomberont dans le vin il s’écrira en regardant autour de lui « où est notre Nason au grand nez il faisait la fête avec nous » (III, Livre V, Les Tristes.)
Une véritable « Scène » de poètes, un adieu à la vie, déchirant, plein de nostalgie et de mélancolie. Shake Speare qui a son Ovide tatoué à l’intérieur des muqueuses y puise probablement l’un de ses plus beaux sommets, l’un de ses plus inoubliables moment de grâce.
C’est en effet la même mélancolie qui prend le jeune Hal-Harry, le jour d’Azincourt, former King of Eastcheep, le facétieux et insolent prince de Galles Henry, compagnon de beuveries de Falstaff ! devenu cette Etoile d’Angleterre, ce parangon de roi, cet Henry V, gloire de la Rose Rouge de la Maison de Lancastre ! C’est dans cet épanchement mélancolique que le roi Henry parvint à galvaniser ses troupes harassées, l’amour de son peuple, la douleur sincère des souvenirs partagés, la pâte humaine, l’amour des hommes, la folie de l’impétueuse et riante jeunesse, la foi, la fidélité en son Prince, cette bande de frères, d’amis, ceux à qui on dit pour toujours et à jamais, « l’amour, l’amour, voilà la grande foi », la dynamite avec laquelle on gagne toutes les batailles.
O cheerful colours, see where Oxford comes ! Oxford ! Oxford ! For Lancaster !
Drapeaux réconfortants! Ah! c’est Oxford qui vient ! OXFORD Oxford, Oxford, pour Lancastre! Dialogue Scène 1, Act V, 2 Henry VI, Shake Speare.
D’Ovide à Shake Speare, de Churchill à de Gaulle jusqu’à Lord Peter Ricketts, grand architecte de ces Accords de Londres ou Accords de Lancastre de 2010, formidable accord diplomatique de mutualisation des armées britanniques et françaises (Talleyrand aurait été si fier !), c’est un tout brillant théâtre qui s’offre à nous en ce jour de gloire, désormais partagé. 2 novembre 2010 Accords de Lancastre, 4 novembre 1918 mort de Wilfried Owen, 25 octobre 1800 naissance de Thomas Macaulay, 25 octobre 1419… This Star of England…
25 Octobre ! Saint Crispin’s day!
O for a muse o fire! That would ascend the brightest heaven of invention, a kingdom for a stage, princes to act and monarchs to behold to swelling scene! « Oh ! que n’ai-je une muse de feu, qui s’élève Jusqu’au plus lumineux des cieux de l’invention ! Un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs ! Des rois pour contempler cette scène splendide ! »
Vive la République! Vive la France & God Save the King !
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