Et c’est un peu par hasard que Nice devint la plus anglaise des villes d’une France à l’époque si peu française.
L’Ecossais Tobias Smolett fut le premier dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle à décrire Nice dans les années 1760 et pas forcément sous un très beau jour pour sa population locale, humbles pêcheurs d’un rocher sous domination sarde… Néanmoins une esquisse du jardin d’Eden qu’il était au naturel, et qu’il allait devenir de façon si spectaculaire, se profilait. Nice est une fleur, une victoire, étymologiquement, un éternel printemps, un parfum.
Une certaine Lady Penelope Pitt ouvrit le bal. En 1787 s’élança une ravissante villa néo-classique en face de ce qui deviendra la Prom’, notre superbe Promenade des Anglais… on peut toujours admirer la villa désormais connue sous le nom de villa Furtado Heine…
Cette promenade quant à elle fut littéralement financée vers 1823 par le philanthrope Lewis Lay dont la vie est un roman quasi évangélique, une véritable histoire biblique, un miracle. Miracle de ce qu’on appelle pas encore Riviera mais qui devient de plus en plus un jardin suspendu entre ciel et terre, entre mer et terre.
Un autre héritier britannique le militaire architecte Sir Robert Smith ouvrit le grand siècle des « folies anglaises »; il fit bâtir un château « indien », une folie d’Orient, sur la butte de Mont Boron, juste à côté d’une villa beaucoup plus récente ayant appartenue au plus populaire des acteurs ayant incarné le plus irrésistible des agents de Sa Gracieuse, un certain Sean Connery…
Ce château de Sir Robert Smith que l’on reconnaît de loin et qui vient d’être magnifiquement restauré se nomme « Le Château de l’Anglais », il domine la baie des Anges avec un charme Anglo-Indien, Anglo-Palladien, Anglo-Niçois (?), reconnaissable entre tous.
Toujours en ce milieu de siècle, Lord Henry Brougham, brillant politique, en route pour Nice afin d’y soigner sa fille, s’arrête à Cannes, en tombe amoureux et plus tard, en finance à son tour, non pas une promenade mais un quai, un port, incarnation de cette « entente cordiale » avant la lettre déjà puissamment amorcée sous Louis-Philippe.
Plus tard quand la reine Victoria jeta son dévolu sur les hauteurs de Cimiez et que le sublime Hôtel Regina sortit de terre, c’est déjà la « magie Matisse » qui était à l’œuvre. La grandeur de l’art moderne tient en partie beaucoup à cette Riviera, petite bulle cosmopolite, « café society », de l’entre-deux-guerres. Après avoir aimé et résidé non loin à Menton, la veuve de Windsor, l’incarnation de la toute puissante Grande Bretagne, si intimement liée à la France d’Ancien Régime, contribuait à faire de ce petit morceau de France, un reflet du paradis sur terre.
Le peintre Munch eut cette phrase renversante : « Cette Riviera est un pays enchanté, quand plus part on décrira les Mille et Une nuits, le décor n’en sera plus l’Inde, il sera ici. »
De sublimes jardins botaniques créés par ces passionnés explorateurs britanniques jalonnèrent la côte et changèrent profondément la flore de Nice et ses alentours, acclimatant la splendeur des 5 continents en cette precious stone set in a silver sea… this realm, this world…
Il n’est jusqu’au fameux casino nommé le casino de la Jetée-Promenade, en face de l’actuel hôtel Méridien (à l’époque un superbe paquebot 1900, nommé l’hôtel Ruhl, détruit dans les années 70…,lui-même remplaçant l’hôtel des Anglais…) qui rappelait le fameux Royal pavillon indien de Brighton… Folie néo-orientale, il incarna ces années folles détruites par la seconde guerre mondiale, avec ses dômes orientaux et ses grandes salles de spectacles, ce pavillon de fer et de verre évoque tout un monde évanoui, des modes surannées, vertige du temps retrouvé.
Les écrivains britanniques Katherine Mansfield, William Somerset Maugham, D.H. Lawrence, Robert Louis Stevenson, les Irlandais James Joyce (qui commença Finnegans Wake à Nice) , W.B. Yeats, enrichirent Nice et ce rêve d’azur d’un accent anglais et shakespearien indéniables… Je rappellerai juste au passage que dans les hauteurs d’une tour du château de Nice, Hector Berlioz composa sa symphonie du Roi Lear, pièce de Shake-Speare…
Il n’est pas jusqu’au coup de canon de midi qui n’ait pas une origine britannique, elle fut lancée par un certain Thomas Coventry… Un Ecossais d’un siècle l’autre… Cette tradition remonte aux années 1860…
A ce degré-là ce n’est pas une ville sous influence, c’est une ville soeur, une incarnation de la psyché britannique en pleine Méditerranée…