Cet été je vous propose d’évoquer les jardins dits anglo-chinois, dont l’un des plus beaux est très certainement celui qu’il est convenu d’appeler le domaine de Marie-Antoinette à Versailles, au Petit Trianon, composé du Hameau de la Reine et des jardins du Petit Trianon.
« Ce qu’il y a de plus beau à Paris, c’est Versailles », écrivait Pierre de Nolhac à la fin de l’introduction de ses petites merveilles de « Mémoires d’un conservateur ». Le premier des conservateurs modernes du château de Versailles au début du XXème siècle avait retrouvé un magnifique extrait des mémoires du duc de Croÿ :
« La Reine faisait finir en 1780 un grand jardin anglais du plus grand genre, et ayant de grandes beautés, quoiqu’il me paraissait choquant qu’il s’y mêlât ensemble tout le ton de grec avec le ton chinois (…). C’était un genre mêlé auquel les amateurs de jardins anglais auront peine à se prêter (…). Mais ce qui est superbe, c’est que M. Richard se livrant au goût et au talent, y mettait de grands arbres rares de toutes sortes. Avec ce qu’il y a déjà, si cela grandit et est remplacé et soigné, ce sera les deux jardins des reines de France et d’Angleterre (Kew), qui auront ce qu’il y aura de mieux en grands arbres (…). »
Cet extrait du texte de Pierre Arizzoli-Clémentel « Vues et plans du Petit Trianon à Versailles » laisse bien rêveur quand, en effet plus de deux cents ans plus tard, on se promène dans les superbes jardins « anglais » ou « anglo-chinois » du château de Versailles, avec peut-être la nostalgie tenace des splendides jardins anglais de Kew Gardens et d’ailleurs – quand on a eu le bonheur de les traverser…
Il est fascinant d’évoquer l’influence anglaise dans l’art des jardins en ces années 1780 sur la France de Louis XVI , alors en pleine Seconde Guerre de Cent Ans, entre la France et la Grande-Bretagne, et surtout en pleine Guerre d’Indépendance Américaine, où la France pourtant cruellement battue lors de la Guerre de Sept Ans, préparait une spectaculaire revanche et opérait un non moins spectaculaire redressement politique, militaire, naval. La (marine) Royale, quasiment passée par le fond quinze ans auparavant renaissait de ses cendres et amorçait avec vigueur le premier chapitre d’un immense destin maritime qui fut le sien et qui aurait dû être le sien de façon bien plus puissante au XIXème si la Révolution française ne l’avait pas – à son tour… – passée par le fond… Corps infiniment trop aristocratique où la discipline est primordiale, foncièrement opposée à l’esprit égalitaire des années 1790…
Fascinant donc car dans cette « Europe qui parlait français » (Marc Fumaroli), dans ce moment où la langue française, la politique française, la culture française étaient dominantes – et frontalement en guerre contre nos chers cousins anglais – nos civilisations étaient en quelque sorte accordées sur l’essentiel. Un je-ne-sais-quoi d’humaniste ou propre à la civilisation chrétienne (malgré les dissensions réelles et frontales entre monde protestant et catholique) semblaient unir des peuples et des sensibilités en apparence différentes.
Lister les jardins anglo-chinois de France et des environs[1] ne signifierait pas grand’ chose mais évoquant le spectaculaire redressement français à la suite du désastreux Traité de Paris de 1763 par le duc de Choiseul, il est impossible dans ce billet de ne pas évoquer le sublime jardin anglais que ce duc avait fait aménager en son château de Chanteloup près d’Amboise – dont il ne reste plus que le pagode chinoise au bout du parc.
L’homme qui, au lendemain de la Guerre de Sept Ans, se fit le chantre du patriotisme anti-anglais (lui-même inspiré du patriotism anglais des années 1740…), lui qui lancera le fameux système Gribeauval, qui affirmera la supériorité technique de l’artillerie française pendant près de 50 ans… jusqu’au Traité de Vienne…, l’homme qui redressa la France suite à la perte de l’immense empire colonial hérité de Louis XIII et Louis XIV au profit d’un monde qui se profilait anglophone (car en définitive ce Traité de Paris est un prélude au Traité de Vienne…), cet homme effaçait un jardin à la française pour un jardin à l’anglaise, la sensibilité rousseauiste laissait place à la géométrie italienne du Roi-Soleil…
Cet homme qui fut le champion de cet acte IV de la Seconde Guerre de Cent Ans se fit faire un jardin anglais… Comme en son temps, l’ennemi juré de Louis XIV, Guillaume d’Orange, roi de Grande-Bretagne, se fit construire (un affreux… pardon…) jardin à la française en son château de Hampton Court…
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Mais pour finir ce billet d’humeur, impossible en définitive de ne pas évoquer, au cœur même du hameau de la Reine, la tour Marlborough, qui domine ce faux-vrai village normand, d’une poésie sans nom. John Churchill, 1er duc de Marlborough, implacable ennemi de Louis XIV, aurait bien rit de voir une fabrique portant son nom en un domaine d’une reine épouse du premier roi anglophone de France, qui dans son étude se passionnait pour l’histoire de la si shakespearienne dynastie des Stuarts…
Un autre Churchill, deux guerres plus loin, qui aimait profondément la figure chevaleresque et crépusculaire de Napoléon I, aurait pu en pleurer quant à lui…
La « finest hour » pour visiter les jardins de Marie-Antoinette, si vous voulez mon avis ?
Un beau soir d’été, entre le pavillon français et le Petit Trianon, non loin de son petit théâtre de poche, son théâtre de société, un petit trait de roses et d’églantine ! des petits théâtres de verdure tout autour ! L’esprit anglais n’est pas loin ! Il faudrait dire au château de Versailles de servir des fraises à la crème de Normandie…près du pavillon frais, tout fraichement restauré… avec du champagne pas trop glacé bien entendu… « de ces profondeurs pétillantes d’où plus rien n’existe »… un de ces champagnes officiel de la cour de Grande-Bretagne qu’il est inutile de citer ici…
I know a bank where the wild thyme blows,
Je connais un talus où viennent thym sauvage,
Where oxlips and the nodding violet grows,
Primevère et violette au modeste visage ;
Quite over-canopied with luscious woodbine,
Le hardi chèvrefeuille y déploie un grand dais,
With sweet musk-roses and with eglantine:
Où se mêlent églantines et roses musquées.
Shake Speare /// « Le songe d’une nuit d’été » Acte II, scène 2.
Texte et photo de Thomas Drelon
[1] On citera donc tout de même le parc Monceau à Paris, les jardins de Méréville, les parcs d’Ermenonville, de Balbi (Versailles), le désert de Retz (Chambourcy) plus récemment au XXème siècle les superbes jardins de Groussay (autre ouvrage – en trois parties et quatre volumes – de Pierre Arizzoli-Clémentel, dédié à Charles de Beistegui). Et on ne résiste pas d’évoquer la fameuse et délicieuse folie d’Artois à Bagatelle au bois de Boulogne et la folie de Saint-James à Neuilly.