Nous re-publions ici une tribune écrite par Jean-Pascal Sibiet, Président des Franco-British Connections et membre du bureau du Conseil Franco-Britannique, parue le 16 octobre dans Les Echos.
Les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne piétinent malgré les annonces faites à Florence, le négociateur en chef est français, Emmanuel Macron se tourne vers l’Allemagne et le porte-avion “Prince of Wales”, initialement prévu comme bâtiment franco-britannique, mouille désormais à Portsmouth sous le seul drapeau de la Royal Navy.
Autant dire qu’un lecteur pressé anticipe que les relations franco-britanniques – principalement nouées autour de la Défense, de la sécurité et de l’Énergie – vont se distendre rapidement au fur et à mesure que les négociations à Bruxelles s’enlisent. Il existe un monde en dehors des politiques, des contraintes électorales et de Bruxelles ! Nos entreprises réagissent aux signaux envoyés sans s’affoler. L’accord de Hinkley Point C offre à EDF et ses partenaires de la filière nucléaire un projet majeur (EPR) pour un montant d’environ 12 MdEUR.
Au Royaume-Uni, la France est plus que symboliquement représentée par ses champions nationaux : Saint-Gobain avec 17 000 salariés et 10 % de son chiffre d’affaires, Veolia et son second plus gros marché avec 14 000 salariés, Thales emploie plus de 1 000 personnes pour la rénovation de la moitié du Métro de Londres.
Les liens vifs qu’entretiennent les nombreux Français – 350 000 résidents – du Royaume-Uni et les 400 000 Britanniques de France (source MAE ) entre nos deux pays se voient renforcés, la preuve : un programme Young Leaders a été lancé en 2016. Financé par de grands acteurs français de la banque, de l’assurance, de l’énergie et quelques donateurs privés, ce programme réunit une trentaine de jeunes décideurs parmi lesquels on retrouve des conseillers d’Emmanuel Macron et de Teresa May, des journalistes, des acteurs du monde culturel et même le recordman de la traversée de l’Antarctique à la voile.
Ces jeunes talents ont entre 30 et 40 ans et ont préféré ce nouveau programme à ceux proposés par la French American Foundation ou le Queen’s Young Leaders ouverts sur le Commonwealth. Dans leur agenda “surbooké” un seul objectif : comprendre les enjeux que les deux pays traversent et se projeter dans un futur qu’il soit business, culturel ou politique.
Des signaux positifs sont également perceptibles du côté des universités, les plus prestigieuses institutions de la Capitale britannique investissement dans leur campus parisien établi depuis 130 ans ( ULIP ). AU total, 12 programmes universitaires dans ce mini Oxford-sur-Seine, du bachelier en français au très prisé LLM en droit en collaboration avec la Sorbonne. Loin des ors de la Capitale, la station balnéaire d’Ouistreham (Caen) lance un grand projet de centre culturel franco-britannique avec déjà 10 MEUR de financement et chaque année un million d’Anglais qui débarquent du ferry à l’assaut de la Normandie.
Outre-Rhin, l’ambition interculturelle a été beaucoup plus porteuse encore. Ennemis jurés aux XIXe et XXe siècles, depuis 1945 les relations franco-allemandes sont devenues fortes, durables et incontournables. Les initiatives sont présentes sur l’ensemble des segments et en particulier sur les jeunes : 71 écoles maternelles franco-allemandes ( Edusol ), L’AbiBac (Abitur et Bac) passé par près de 1 000 lycéens chaque année ouvre les portes des universités françaises et allemandes, l’université franco-allemande à Sarrebrück ou le campus franco-allemand de Sciences Po Paris développé à Nancy.
La fonction publique aussi démontre son intérêt pour l’Allemagne avec une brigade militaire de 5 000 hommes et un séminaire annuel franco-allemand des cadres supérieurs de la fonction publique française et allemande. Avec nos communes, l’Allemagne remporte le palmarès avec 2200 jumelages (1100 pour le Royaume-Uni).
À ce jour, les dotations gouvernementales de la chaîne publique Arte sont de 128 MEUR ( via la contribution à l’audiovisuel ) et l’Office de la jeunesse franco-allemande dispose de 25 MEUR ( OFAJ ) : rien à signaler entre Calais et Douvres et pourtant 52 % des parents envisagent que leurs enfants étudient en Grande-Bretagne, contre 22 % en Allemagne ( étude HSBC ).
Pourquoi ne pas davantage développer nos relations avec notre autre grand voisin autour de l’éducation et de la citoyenneté ? L’ouverture culturelle, la compréhension du monde anglo-saxon et le développement linguistique sont autant d’arguments à faire valoir. Le Brexit n’est pas une raison suffisante pour qu’on érige une frontière à l’Ouest, en tournant le dos à une relation forte, atypique et même bénéfique pour le business français.
Jean-Pascal Sibiet, Young Leader 2017, est Président des Franco-British Connections depuis 2008. Le programme franco-britannique Young Leaders rassemble des chefs d’entreprise, militaires, journalistes et entrepreneurs français et britanniques de 30 à 40 ans, dans le but d’approfondir la coopération entre leurs deux pays et de tisser des liens entre des décideurs de demain.