Quasiment le jour de la mort de l’Orpheus Britannicus, Henry Purcell lui-même, mort un 21 novembre d’un refroidissement stupide : on raconte que son épouse lui aurait laissé la porte fermée, fatiguée manifestement de la vie dissolue de son musicien de mari… quelle fin tragique et sordide pour un homme qui a composé la plus belle musique qui soit et dont l’œuvre revit si intensément aujourd’hui grâce au fantastique « revival baroque » (qui dure depuis désormais plus de 40 ans, nous sommes donc bien loin d’un phénomène de mode mais d’un mouvement de fonds).
En 36 ans (Mozart meurt à 35), le compositeur issu d’une souche normande eut le temps d’écrire la plus sublime musique qui soit, considérée comme le fondateur de la musique moderne anglaise dont Haendel s’inspira grandement. En ce beau siècle de restauration Stuart, il n’y avait pas que la couronne anglaise qui se plaçait dans l’orbite du Roi Soleil, cousins au premier degré qu’étaient Louis XIV et Charles II et plus tard Jacques II. Leur décapité de père Charles I eut comme épouse Henriette-Marie de France, sœur de Louis XIII. Il fallait remonter au XVème siècle pour voir les couronnes de France et d’Angleterre si loin, si proches…
La musique était également puissamment influencée par celle de l’incomparable Baptiste, Jean-Baptiste Lully. De nombreuses ouvertures de pièces de Purcell sont des ouvertures à la française lent-vif-lent, codifiées sous Louis XIV pour manifester l’entrée dans la salle du plus grand roi du monde (n’est-ce pas …) le roi de France…
Mais ce qui rapproche intimement ces deux grands compositeurs est cet art absolu du verbe : qui du verbe ou de la musique prend le dessus dans ces langoureuses passacailles, pleine de noblesse, de profondeur, de douleur, de grandeur ?
La grande passacaille du Roi Arthur « How happy the lover », mise en abîme à la grande passacaille de l’Armide de Lully se complètent, se rejoignent, dansent un pas de deux. L’esprit est le même, le rythme, les couleurs d’orchestre, grande symphonie en élégance majeure. Cette musique anglaise donc est profondément française bien que foncièrement anglaise par ses sujets. Du roi Arthur à Shakespeare (« La Tempête », « The Fairy Queen » inspiré par « Le songe d’une nuit d’été », « Timon d’Athènes »), jusqu’à son travail avec l’immense poète John Dryden, Purcell conféra à la musique anglaise la même puissance qu’un Van Dyck à l’école anglaise de peinture : un tournant décisif et une postérité sans égale. Des couleurs et un tempérament qui la rende immédiatement définissable dans ce grand « bal des Nations » propre au Grand Siècle.
Des élans shakespeariens de l’air célébrissime de la mort de Dido « When I am laid », jusqu’à la musique des funérailles de la reine Mary (fille de James/Jacques II et mariée à Guillaume d’Orange, Guillaume III), Purcell avec son ode à sainte Cécile touche littéralement le divin des doigts. On se croirait à Saint Pierre de Rome, attention décollage immédiat dans les sphères, dans le cosmos direction Orion, direction Orphée, la constellation qui terrassa la mort et les enfers, Eurydice avec moi, surtout non ne me lâche pas la main, je ne dois pas me retourner, l’amour est plus fort que la mort et pourtant…
Comme le sublime groupe sculpté de l’église Sainte-Agnès de la piazza Navona de Rome, cette musique des sphères vous emporte dans les airs, en apesanteur, en communion mystique, air anglais, english ayres.
Impossible dans ce billet de ne pas évoquer l’hymne national britannique le God save the King, composé par George Friedrich Haendel inspiré par un motet de Lully. Difficile de savoir lequel, on raconte qu’il aurait été composé pour Louis XIV remis d’une mauvaise opération. Quoiqu’il en soit, ce Haendel si puissamment influencé par l’anglo-normand Purcell, composant le si louisquatorzien hymne britannique tout ça est résumé par cette phrase de Karl Marx, « Geschichte ist so grundlich », L’histoire est si facétieuse…
Finissons donc en chanson avec cet « ayre » à boire… rappelant un nursery ryhme britannique typique, la vieille légende arthurienne, éminent socle culturel franco-britannique, plein donc de musique lulliste et royaliste… (je vous raconterai une autre fois à quelle point la restauration de Charles II Stuart fut littéralement financée par son cousin Louis XIV…), l’inoubliable et richissime King Arthur, probablement le plus grand opéra du XVIIème siècle… and mark my word cos’ I am bloody French…
We’ll toss off our ale till we cannot stand ;
Nous trinquerons notre bière jusqu’à ce que nous ne puissions plus nous tenir debout ;
And heigh for the honour of Old England ;
Et bravo pour l’honneur de la vieille Angleterre.
Old England, Old England,
Vieille Angleterre, Vieille Angleterre,
And heigh for the honour of Old England.
Et haut les cœurs pour l’honneur de la vieille Angleterre.
L’association n’entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.