Axelle Lemaire est secrétaire d’État chargée du numérique depuis avril 2014. Auparavant, elle était députée de la troisième circonscription des Français établis hors de France, qui inclut le Royaume-Uni.
Juillet 2015, 18h30 à Bercy, perché au 4ème étage de l’Hôtel des Ministres, rendez-vous dans le bureau d’Axelle Lemaire.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Quelle en est la dimension franco-britannique ?
Je suis née dans le froid de l’automne à Ottawa, capital du Canada. De nationalité française et canadienne, j’ai été élevée dans un univers très francophone. Lorsque mon père a pris sa retraite de l’Université d’Ottawa, je suis arrivée avec toute ma famille dans le Sud de la France, à Montpellier précisément. Après une hypokhâgne fort instructive, j’ai été 3 ans à Sciences Po puis enfin je me suis spécialisée dans le droit et le droit international lors d’études doctorales.
Des raisons personnelles m’ont portées à Londres. Le départ outre-Manche fut difficile. J’avais l’impression de vivre un nouveau déracinement après le Québec et la France. Mais petit à petit je me suis adaptée à la vie londonienne. Plusieurs raisons m’ont attachées à Londres pendant plus de 13 ans : d’abord les études, avec un master à King’s College, ensuite le travail, comme juriste, puis collaboratrice parlementaire, et enfin mes enfants, qui ont commencé leur vie là-bas. Pour toutes ces raisons mon retour à Paris lorsque j’ai été nommé Secrétaire d’État, fut teinté de nostalgie.
Vous avez été députée des Français d’Europe du Nord – une circonscription qui inclut la Grande-Bretagne – et vous avez également travaillé pour un député à la Chambre des Communes – Denis MacShane – et connaissez donc bien la vie politique des deux côtés de la Manche. Quel regard comparatif et critique en portez-vous ?
Tout d’abord, une comparaison des institutions s’impose. La Grande Bretagne a choisi un régime parlementaire alors que la France a adopté un régime semi-présidentiel. Le pouls de la vie politique britannique se mesure au parlement. Les ministres britanniques continuent d’ailleurs à être députés lorsqu’ils sont en fonction et ils conservent leur bureau à Westminster.
Ensuite, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la France a certains reflets monarchiques alors que le Royaume-Uni, lui, est une monarchie. De plus, dans la pratique, les députés français votent au nom du peuple et ne représentent pas des catégories de citoyens ou un territoire géographique donné. À l’inverse, les Britanniques votent pour un représentant défendant les intérêts de leur circonscription.
Enfin, je dirais que les QAG (Questions au Gouvernement), qui se tiennent deux fois une heure par semaine en France, ne donnent malheureusement pas toujours le meilleur visage de la politique.
Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels, il y a une forte population française vivant à Londres. Que pouvez-vous dire à propos de cette communauté française ? Que peut-on envier aux Britanniques et qui attire tant les Français à venir s’installer à Londres ?
Ce que j’ai compris en 2012 lors de ma campagne et durant l’exercice de mes fonctions électives, c’est que la communauté des français de Londres est très diverse, quoi que mal dépeinte dans les médias. Il s’agit d’une communauté singulière et unique, constituée d’individus singuliers. Il ne s’agit pas seulement de la minorité de l’intelligentsia de la City, bien que cela pu être vrai à la fin des années 90 et au début des années 2000. Beaucoup des Français de Londres sont étudiants, chercheurs ou encore dans les médias. Près des deux tiers de cette communauté travaille dans le secteur public. C’est sans doute le reflet d’une grande ouverture des londoniens. Il semble plus aisé d’accéder à certains postes à Londres lorsqu’on est français que l’inverse. Cela devrait nous interpeller.
Très dynamiques, les Français de Londres appartiennent à des catégories socio-professionnelles différentes, étant souvent venus pour répondre à des opportunités professionnelles. Ainsi, cette communauté se rejoint dans une certaines mobilité, à la fois géographique et professionnelle. Dans un monde ouvert les nouvelles technologies, à l’Eurostar, aux échanges étudiants, ont créé de nouvelles opportunités de mobilité. Dans ce contexte nos deux pays, la France et la Grande Bretagne doivent donc être perçus comme complémentaires: ce sont deux nations économiques fortes. En Grande Bretagne, les télécoms drainent plus d’emplois que la finance. Notre société française est davantage tournée vers les services avec une grande diversité de secteurs où nous distinguons : bâtiment, luxe, transport, énergie, etc.
D’après vous, qu’est-ce qui rend la relation franco-britannique si particulière ; et qu’est-ce qui mériterait d’être développé plus encore ?
Parfois je me pose la question, et si la mer [La Manche, NDLR] n’était pas là, serions-nous unis ou séparés ? Nous avons une histoire intriquée, complexe, qui a malheureusement parfois été instrumentalisée par certains hommes politiques. Or, l’heure est à l’Europe et les partenariats. Le terme d’Entente Cordiale est insuffisamment révélateur de ce qui unit nos deux pays. Nous avons de fort liens humains, économiques, dans le domaine de la défense, et autres. Il convient donc de créer encore plus de ponts pour être à la hauteur de notre destin commun et surmonter les égoïsmes nationaux.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent partir Outre-Manche ?
Chacun doit rester libre et maître de son destin ou hasards de la vie.
Préparez-vous bien avant de partir ! En tant qu’élue j’ai été confrontée aux situations difficiles vécues par des compatriotes dont le projet n’avait parfois pas été assez mûri.
Profitez également de cette expérience internationale pour tester, prendre des risques, se réinventer.
Entretien réalisé par Florian Bercault
Franco-British Portrait Gallery